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Chefs d’entreprises : Comment utiliser la doctrine fiscale à votre profit ?

Date de publication : 26.05.25

droit fiscal

doctrine fiscale

Alexandre Vercruysse

La doctrine fiscale, souvent perçue comme un ensemble inintelligible de règles à respecter, est pourtant un outil indispensable au profit des contribuables et grâce à la garantie de l’article L.80 A du Livre des procédures fiscales (LPF), vous pourrez éviter un redressement en opposant à l’administration ses propres commentaires si vous en avez besoin. Mais attention : cette garantie ne s’applique pas dans tous les cas et repose sur des conditions précises, surtout lorsque les commentaires évoluent.

Mieux comprendre ce mécanisme vous permet de sécuriser vos pratiques, d’éviter des redressements injustifiés et d’adopter une stratégie fiscale plus sereine.

Dans cet article, nous vous expliquons de manière simple et pratique :

  • Ce qu’est réellement la doctrine fiscale
  • Dans quels cas elle peut vous protéger
  • Comment et quand s’en prévaloir
  • Et ce qu’apporte la récente décision du Conseil d’Etat du 5 mai 2025 (spoiler : rien)

En refusant de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la limite de l’opposabilité de la doctrine fiscale aux seuls « rehaussement entrepris par l’administration », le Conseil d’Etat donne l’occasion de revenir sur cette garantie et sur sa composante temporelle, la garantie contre les changements de doctrine.

>>  Décision n° 499387 <<

1. Comprendre l’opposabilité de la doctrine fiscale : une garantie à votre service

Contrairement à une croyance assez répandue et entretenue récemment par la « suspension » de la réforme de la franchise en base de TVA, l’administration fiscale française ne dispose d’aucun pouvoir pour édicter une norme d’application générale, celui-ci appartenant au législateur ou, par exceptions ou délégations constitutionnellement valables, à l’exécutif, ainsi que, dans une certaine mesure, au pouvoir judiciaire.

La doctrine fiscale : quelle est sa valeur ? ce qu’il faut savoir

Les commentaires de l’administration fiscale (consultables et mis à jour depuis 2012 sur le site BOFiP-impôts) ne constituent en réalité qu’une interprétation des normes fiscales internes, des stipulations des conventions fiscales internationales et parfois des constructions jurisprudentielles.

Juridiquement, ils n’ont qu’une valeur interprétative mais leur utilité est indéniable dans la mesure où ils permettent de connaître précisément la manière dont l’administration conçoit chaque élément du système fiscal français. Il peut s’agir de la manière de liquider une taxe, de vérifier une condition d’accès à un dispositif particulier, de déterminer les flux internationaux sur lesquels elle exerce le pouvoir d’imposer de la France mais également de la manière dont se déroulent les contrôles (les « procédures d’imposition »).

Se protéger des revirements de l’administration : la garantie contre les changements de doctrine

Cela étant, l’équité veut que les contribuables puissent se prémunir contre les effets pervers de cette situation en leur permettant d’opposer à l’administration sa propre interprétation, surtout lorsqu’elle a pour conséquence d’assouplir la norme interprétée.

Ainsi, l’administration fiscale ne peut procéder à un redressement lorsque le contribuable s’est scrupuleusement conformé aux commentaires administratifs, même lorsque cette interprétation s’écarte de la norme fiscale : c’est le principe d’opposabilité de la doctrine administrative, consacré dans la première partie de l’article L.80 A du LPF.

Sur cette base, il faut ajouter l’élément temporel car, et c’est parfois heureux, la norme et les commentaires évoluent. En particulier, l’administration fiscale peut décider de supprimer une disparité (positive ou négative) entre sa doctrine et la norme ou de s’approprier tout ou partie d’une théorie jurisprudentielle. Ses commentaires sont également très attendus par les praticiens lorsque les titulaires du pouvoir normatif font œuvre d’évolution.

Ainsi, sauf cas particulier évoqués plus loin, l’administration fiscale ne peut redresser un contribuable en lui opposant les modifications de ses commentaires intervenus entre le moment où il les a appliqués et celui où le contrôle fiscal intervient : c’est la garantie contre les changements de doctrine, portée par la seconde partie de l’article L. 80 A du LPF.

Quand la garantie ne s’applique pas : les limites à connaître pour éviter les erreurs

L’applicabilité de ces deux pans de la même garantie connaît quelques restrictions majeures. Ainsi, actuellement, la garantie ne peut être invoquée en ce qui concerne la procédure d’imposition, les obligations comptables ou la garantie de l’article L80A elle-même.

Elle s’applique dans tous les autres cas et notamment s’agissant des commentaires relatifs à l’assiette, au taux, à la liquidation de l’impôt ou encore aux règles de prescription ou en cas de report de délai ou de prorogation d’un régime d’imposition mais également ceux relatifs aux pénalités fiscales ou au recouvrement de l’impôt.

S’agissant du sujet actuel de la réforme de la franchise en base de TVA, la décision de « suspendre » la mise en application de la réforme est opposable sur le fondement de la garantie.

2. Comment et quand se prévaloir de la garantie ?

La garantie est pour vous, pas pour l’administration fiscale !

Il faut d’abord poser que fondamentalement la garantie ne peut pas être invoquée par l’administration fiscale elle-même. En tant que garantie procédurale, elle est au bénéfice exclusif des contribuables.

En d’autres termes, l’administration fiscale ne peut utiliser la garantie pour opposer sa propre interprétation lorsqu’elle est contraire (plus dure) que la norme interprétée et même lorsque la temporalité jouerait en sa faveur. Cependant, au contentieux, l’administration fiscale considère par principe que cette situation n’existe pas et que ses commentaires ne sont jamais plus durs. Lui faire reconnaitre le contraire nécessite une stratégie contentieuse particulière car seul le pouvoir judiciaire peut supprimer un commentaire administratif pour excès de pouvoir. Le cas où l’administration fiscale corrige d’elle-même ses commentaires est évoqué plus loin.

Construire une stratégie en cas de contentieux fiscal : les bons réflexes

Ensuite, s’interroger sur la façon de se prévaloir utilement de la garantie de l’article L80A du LPF n’est en réalité qu’un versant d’une stratégie contentieuse plus vaste au titre de laquelle, en pratique, les sujets abordés ci-après reviennent régulièrement.

Au préalable, il est nécessaire d’établir un état des lieux des dispositifs appliqués et de déterminer en leur sein si on est en présence d’un cas où les commentaires sont plus souples que la norme ; on parle également pudiquement de « tolérance administrative » ou s’ils sont plus durs.

Sur ces seules tolérances administratives, la stratégie est d’appliquer les commentaires dans la mesure où la garantie de l’article L80A permettra de les opposer en cas de contrôle.

En pratique, il arrive parfois qu’un contribuable constate après coup qu’il aurait pu bénéficier d’une tolérance. La tentation est alors grande d’engager un contentieux et de déposer une réclamation. C’est sur ce point que la décision du Conseil d’Etat du 05/05/2025 se prononce par la négative, nous rappelant que la garantie n’est pas faite pour cela.

Cela étant, en matière de TVA, tout n’est parfois pas perdu et la temporalité peut jouer en faveur des contribuables (voir ci-après).

Ensuite, il convient de prendre en compte l’élément temporel : Depuis quand et jusqu’à quand puis-je appliquer la tolérance administrative ?

Pour répondre à cette question, deux principes directeurs doivent être conservés en mémoire :

Point de départ : la doctrine invoquée doit être antérieure :

  • à la « première décision d’imposition », celle-ci étant différente en fonction de l’impôt considéré (schématiquement il s’agira soit de la réalisation des opérations génératrices de l’impôt contesté, soit de la date à laquelle l’impôt est établi) mais également
  • à la date à laquelle le contribuable a fait ou aurait pu en faire application (souvent la date limite de dépôt de la déclaration en cause)

Point d’arrivée : la doctrine est opposable tant qu’elle n’est pas caduque. Elle le devient automatiquement dans 3 situations :

  • Lorsque l’administration fiscale prend l’initiative de rapporter ou révoquer ses commentaires – à ce titre, tous les commentaires des anciennes instructions administratives qui n’ont pas été repris en 2012 dans la base BOFiP-impôts sont devenus caducs au moment de la migration
  • En cas de changement de la norme interprétée, lorsque ce changement entre en vigueur
  • Lorsqu’ils sont annulés par le juge de l’excès de pouvoir et pas seulement analysés comme contraires à une position jurisprudentielle (on pourra penser ici aux commentaires administratifs sur l’imposition des rémunérations des associés de SEL antérieurs à 2023 qui sont restés opposables pendant 15 ans alors qu’ils étaient devenus contraires à la jurisprudence du Conseil d’Etat)

Bien évidemment, seule une analyse au cas par cas permettra de dégager une véritable stratégie.

Pour aller plus loin…

Il reste enfin le cas particulier des modifications des commentaires administratifs relatifs à la TVA faisant suite à une modification législative ou règlementaire. Dans cette situation et si cette modification affecte le prorata de déduction, il deviendra parfois possible d’aller chercher un complément de déduction en réclamant sur le fondement des régularisations globales.

Enfin, il faut mentionner l’existence d’une seconde garantie majeure, dont la construction est assez similaire mais qui s’intéresse quant à elle aux prises de position formelles sur des situations de fait par l’administration fiscale, elle est située juste après dans le LPF, à l’article L. 80 B.

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