Contrat de management hôtelier en France : version anglaise/version française… la controverse
Date de publication : 27.08.24
Anne Epinat Christopher Boinet
Le gestionnaire hôtelier international peut-il faire prévaloir d’autorité la version anglaise du contrat de management exécuté en France ?
Les aspects juridiques et pratiques de la version du contrat sont importants et les intérêts des parties sont divergents. Le choix de la version anglaise ou française doit être argumenté et constitue un point sensible à gérer avec pragmatisme dans la négociation du futur partenariat.
En principe, comme le contrat de management sera exécuté en France, les parties devraient convenir sans difficulté que le droit français va prévaloir.
Seule va rester ± à trancher la version du texte en anglais ou en français du contrat de management.
Le propriétaire doit anticiper que l’enseigne hôtelière internationale va lui communiquer sa matrice de contrat de management d’une quarantaine de pages dans un anglais technique et juridique dans un style ± facile à saisir.
Il arrive que certains contrats rédigés en anglais avec les enseignes internationales soient relativement aisés à comprendre sans avoir besoin d’être traduits en français. Mais ceux-ci ne constituent pas la majorité des cas. La traduction automatique qui s’est généraliser avec DEEPL/GOOGLE ne parvient pas à les rendre compréhensibles et exploitables.
Le gestionnaire étranger invoque régulièrement des raisons de modélisation et de sécurité de son portefeuille de contrats de management et de annexes en vigueur constituant son actif au sein du groupe hôtelier international, ce que l’on peut comprendre.
Néanmoins, rien n’oblige juridiquement que la version anglaise prévale dans un contrat de management d’un hôtel exploité en France.
Quels sont les véritables enjeux pour le propriétaire?
Dans les faits, le propriétaire fait face à une double difficulté :
- il est souvent néophyte dans l’industrie hôtelière, et
- le professionnel hôtelier étranger impose sa matrice de contrat de management hôtelier qui lui est familière de surcroît dans une langue étrangère. Il se ménage ainsi certains atouts.
Pour le propriétaire français et son équipe technique, la version française est bien plus pratique à appréhender pour exécuter le contrat de management de longue durée, surtout en cas de problème d’interprétation et bien sûr en cas de contentieux sur les sujets techniques ou complexes.
Parfois, le gestionnaire étranger (en contrepartie de l’acceptation de la version anglaise – 😊) peut consentir à ce que le contrat de management soit rédigé sur chaque page en 2 colonnes en anglais et en français. La mise en forme n’est pas évidente et le contrat de management devient bien volumineux avec ses annexes.
Quels sont les objectifs prioritaire du propriétaire : comprendre le contrat en français ou appliquer à tout prix la version française d’un point de vue juridique ?
La lisibilité du contrat de management comportant les 2 versions à chaque page semble être souvent un compromis satisfaisant pour les parties. On doit donc relativiser l’enjeu pour le propriétaire entre le confort lié à la lisibilité du contrat et au fait que le contrat soit soumis par les parties à la seule version française qui sera opposable juridiquement.
L’importance du contexte financier du projet hôtelier pour le propriétaire
Le fait de faire prévaloir la version française et le droit français va s’imposer au propriétaire lorsqu’il s‘entoure de partenaires financiers français où le contrat de management a un rôle clé.
C’est notamment le cas du financement pour la construction/rénovation de l’hôtel sous contrat de management, par des établissements bancaires français ou avec d’autres partenaires financiers ou institutionnels français en fonds propres ou quasi fonds propres, ou bien dans le cadre d’un crédit-bail immobilier.
Enfin on retrouve le cas d’investissements hôteliers réalisés dans les DOM-TOM à partir d’un financement mixte à la fois bancaire, combiné avec un financement soumis à la loi Girardin.
La prise en compte de certaines clauses spécifiques et complexes du contrat de management
- la rédaction de certaines clauses dans le contrat de management en français peut s’imposer, telle que la clause « de jouissance paisible », aussi appelée en anglais clause de « non- disturbance ».
Cette clause permet d’éviter la résiliation du contrat de management en cas de défaut de paiement par le propriétaire de sa dette bancaire et de protéger les droits du gestionnaire hôtelier au titre du contrat de management. Le gestionnaire hôtelier a intérêt que cette clause soit rédigée en français et soumise au droit français pour responsabiliser le propriétaire vis-à-vis de sa banque et pour s’assurer de son efficacité juridique. Cette clause a un impact direct sur les conditions de financement du propriétaire (taux plus élevé, durée du prêt plus courte,…) et fait l’objet d’âpres négociation entre le propriétaire, le gestionnaire et les banques concernées. - quand le propriétaire n’est pas l’employeur des salariés affectés à l’hôtel, la clause du « contrat de management inversé » sur la gestion du personnel fait partie des clauses sur-mesure et délicates à rédiger et à exécuter vis-à-vis de la réglementation française d’ordre public en droit social. Les parties sont exposées aux risques de co-emploi et de prêt de main-d’œuvre illicite et de délit de marchandage.
La version en français et le recours au droit français limitent en principe les problèmes d’interprétation et de responsabilité c’est le cas, notamment si le contrat contient une annexe avec une délégation de pouvoir sur le plan civil et pénal entre le gestionnaire et le directeur de l’hôtel qui est son salarié et en cas d’annexe comportant une garantie à première demande du propriétaire sollicitée par le gestionnaire pour le couvrir sur les engagements à caractère social du personnel de l’hôtel.
Si c’est la version anglaise qui prévaut, le gestionnaire va souhaiter bien entendu que la négociation du contrat de management et tous les échanges y afférents se déroulent en anglais – si l’opérateur hôtelier étranger insiste, la négociation se déroulera en anglais avec une version finale du contrat rédigée en anglais et qui prévaudra entre les parties.
Toutefois, Il arrive que certains propriétaires imposent la version française et le droit français au contrat de management
Voici un exemple de clause usuelle pour un contrat de management soumis au droit français (et donc à une juridiction de droit commun française) et à la version française :
Le présent Contrat est soumis au droit français.
Tout litige relatif à celui-ci que les Parties n’auraient pu résoudre à l’amiable sera soumis au Tribunal Judiciaire de ________ à qui il est fait attribution exclusive et expresse de compétence.
Le présent Contrat est en français. S’il est traduit ou signé dans une autre langue, seul le texte en français fera foi.
Nous tenons à votre disposition les versions sur les différends, privilégiant la langue anglaise et les procédures d’arbitrage.
Conséquence du choix de la version anglaise du contrat de management vis-à-vis des juridictions.
Le choix de la version anglaise a des conséquences directes sur la juridiction qui sera saisie en cas de contentieux (indépendamment de la clause contractuelle nommant un expert désigné par les parties pour régler les différends mineurs, à prévoir dans le contrat de management).
Si c’est la version anglaise qui va prévaloir dans le contrat de management, seule la procédure d’arbitrage sera envisageable avec une place d’arbitrage comme Paris s’agissant d’un contrat exécuté en France. En effet une juridiction de droit commun française ( en général le tribunal de commerce ) est incompétent pour se prononcer sur un litige portant sur un contrat rédigé dans une langue étrangère[i].
Nos recommandations de respecter un bloc contractuel cohérent sur le plan juridique et de s’accorder sur la langue qui va prévaloir.
La lettre d’intention ou « le term sheet » avec le contrat de management et ses annexes qui peuvent inclure le contrat d’assistance technique, forment un bloc contractuel indivisible et indissociable. C’est la raison pour laquelle, dès le début des négociations, les parties doivent rappeler que ces conventions sont soumises au droit français, à une juridiction précise et à telle ou telle version française ou anglaise qui prévaudra.
Enfin, dernier aspect pratique. Comme c’est traditionnellement le professionnel de l’hôtellerie & gestionnaire qui présente sa matrice en anglais , avant de signer, le propriétaire négociera en contrepartie la prise en charge financière de la traduction de la lettre d’intérêt & du contrat de management & des annexes par son gestionnaire étranger.
Avant de signer, le propriétaire sera exigeant sur la qualité de la traduction (sans que la traduction jurée – avec son coût supplémentaire- soit utile).
[i] L’expérience en cas de contentieux en matière de contrat de management hôtelier, semble prouver que les juridictions de droit commun en France sont loin d’être familières avec le secteur hôtelier. Ceci peut conduire à une forme d’insécurité juridique sur l’efficacité juridique attendue et l’exécution des contrats de management hôteliers en cas de contentieux et sur la durée des procédures. C’est pourquoi, par expérience, le recours à la procédure d’arbitrage a notre faveur , ainsi que le recours à un expert indépendant et neutre sur les différends mineurs. Le recours à l’expert indépendant et neutre permettra de résoudre et d’ajuster rapidement les positions entre les parties prenantes sur ces contrats de management hôteliers caractérisés par une longue vie en commun.
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