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Les enquêtes du CSE à l’épreuve des risques psychosociaux

Date de publication : 30.10.24

droit social

Stanislas Dublineau

Les représentants du personnel disposent de deux droits d’alerte distincts qui sont actuellement utilisés pour une seule et même thématiques : la gestion des risques psychosociaux. Une telle situation est source d’insécurité juridiques. Elle peut engendrer de nombreux disfonctionnements qui ne doivent pas être minimisés. A minima, une réécriture des textes semble nécessaire.

 

Les risques psychosociaux : une définition ambivalente.

La gestion des risques psychosociaux est aujourd’hui un enjeu majeur pour les entreprises. Il s’agit des risques qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail. Une telle définition est particulièrement large et peut concerner aussi bien des situations mettant directement en danger les salariés (harcèlement, violence au travail) que des situations anodines et récurrentes au sein des entreprises (difficultés relationnelles avec un manager ou entre collègues de travail). L’INRS a donc tenté de dresser une cartographie des risques psychosociaux. Ils recouvrent le « stress au travail », les « violences internes » commises au sein de l’entreprise par des salariés et les « violences externes » commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions, etc.).

Il revient à l’employeur d’adopter, dans le cadre de sa politique générale de prévention, « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures consistent à mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, ainsi qu’une organisation et des moyens adaptés (Article L. 4121-1 du code du travail).

Le code du travail accorde également un rôle important aux représentants du personnel dans la démarche de prévention des risques professionnels. Ils interviennent dans le cadre de l’élaboration de la politique de prévention de l’entreprise, de son suivi et de ses évolutions (notamment via la commission santé sécurité et conditions de travail du CSE). Ils sont également chargés d’assurer des remontées d’informations auprès des managers, des services des ressources humaines, ou encore des services de santé au travail.

Deux droits d’alerte distincts pour un seul sujet ?

Les membres du CSE disposent de deux droits d’alerte dont les contours et les limites posent de nombreuses difficultés pratiques :

  • Le premier droit d’alerte est prévu par l’article L. 4331-2 du code du travail. Ce texte accorde un droit d’alerte aux membres du CSE lorsqu’ils constatent qu’il existe une cause de « danger grave et imminent » pour le salarié.
  • Le second droit d’alerte est régi par les dispositions de l’article L. 2312-59 du code du travail. Cet article offre aux membres du CSE un droit d’alerte lorsqu’ils constatent « une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché».

Ces deux droits d’alerte reposent sur des fondements radicalement différents. Pourtant, une partie de la doctrine, considère que ces deux textes permettent aux représentants du personnel d’agir lorsqu’ils constatent qu’un salarié est soumis à l’existence de « risques psychosociaux ».

Une telle analyse, qui trouve un regrettable écho dans la jurisprudence de certaines juridictions du fond, pose de nombreuses difficultés et relève d’une interprétation totalement incohérente des textes concernés puisque :

D’une part, les « risques » psychosociaux ne justifient pas forcément la mise en œuvre d’un droit d’alerte

Les mots ayant un sens, le « danger » et le « risque » relèvent de notions radicalement différentes. Il ne faut donc pas assimiler ces deux termes. D’ailleurs, en l’absence de définition légale, la jurisprudence a établi qu’il n’existe pas de danger grave et imminent dans les situations suivantes :

Seuls des « dangers » qui plus est graves et imminents devraient donc permettre la mise en place d’un droit d’alerte sur le fondement de l’article L. 4331-2 du code du travail. Une telle qualification exclue, par principe, une grande partie des « risques psychosociaux« .

De même, tous les risques psychosociaux ne représentent pas une « atteinte à la santé physique ou mentale » qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché. De nombreux risques psychosociaux sont inhérents au travail réalisé par le salarié et sont, de ce fait, justifiés par la tâche à accomplir.

Ainsi, tous les risques psychosociaux ne sauraient justifier la mise en œuvre d’un droit d’alerte et de son corolaire, l’obligation de diligenter une enquête avec le représentant du personnel.

Préalablement, le représentant du personnel doit démontrer l’existence d’une situation de nature à relever de l’une des deux situations mentionnées par le code du travail. De même, l’employeur qui estime qu’il est inutilement « alerté » doit pouvoir refuser d’engager une enquête en indiquant les motifs qui le conduisent à refuser de la diligenter.

A défaut, toute situation, même anodine, peut devenir sujet à enquête. Une telle situation peut, non seulement encombrer inutilement les équipes chargées des ressources humaines, mais aussi, et surtout, créer un climat délétère dans l’entreprise. Les enquêtes liées aux risques psychosociaux sont souvent mal vécues par les managers, qui y voient une remise en cause (parfois totalement injustifiée) de leurs méthodes de travail. Elles doivent donc être cantonnées à des situations qui justifient une mobilisation immédiate de l’employeur et du représentant du personnel.

Or, plusieurs décisions de justice considèrent que l’employeur ne peut se faire juge de l’opportunité de l’alerte initiée par le représentent du personnel.

Les juges semblent désormais considérer que le code du travail lui impose de mettre en œuvre une enquête avec le représentant du personnel et ce, quelle que soit son opinion de la situation. Ainsi, la cour d’appel de Riom a estimé que le refus d’enquêter dans le cadre d’une alerte sur un danger grave et imminent est un trouble manifestement illicite (CA Riom 23 février 2010).

Pourtant rien ne justifie le caractère « automatique » d’une enquête réalisée dans le cadre d’une alerte d’un représentant du personnel. Les textes se contentent d’indiquer qu’elle doit être réalisée « immédiatement » ou « sans délai ». Mais encore faut-il que l’alerte soit justifiée.

Un employeur doit pouvoir s’opposer à l’éventuel abus du droit d’alerte d’un représentant du personnel. Bien évidemment le juge reste le dernier arbitre de la situation et peut, lorsque l’abus de droit n’est pas avéré, imposer à l’employeur de mettre en œuvre une enquête. Mais rien ne justifie que le juge refuse de soumettre l’utilisation du droit d’alerte à un contrôle de légitimité.

A défaut, il est à craindre que l’employeur soit inutilement sollicité par les représentants du personnel. Ces derniers pourraient, en effet, utiliser leur droit d’enquête afin de contester le pouvoir de l’employeur et son corolaire indispensable, le lien de subordination qui unit le salarié à son manager.

D’autre part, les procédures associées aux deux alertes étant différentes, elles ne peuvent être utilisées indifféremment en cas de « risques psychosociaux ».

Selon le code du travail, lorsqu’un membre du CSE alerte l’employeur en raison d’un supposé « danger grave et imminent », il doit consigner son avis dans le registre des dangers graves et imminents. L’employeur doit alors procéder « immédiatement » à une enquête avec le représentant du comité social et économique qui lui a signalé le danger et prendre les dispositions nécessaires pour y remédier (Article L. 4132-2 du code du travail).

En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le CSE est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures (Article L. 4132-3 du code du travail).

A défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du CSE sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur.

Lorsque l’employeur a refusé de réaliser l’enquête à la suite de l’alerte du représentant du personnel, c’est le tribunal judiciaire ou l’inspecteur du travail qui sont compétents pour trancher le litige.

La procédure d’alerte liée à l’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles, est radicalement différente.

En effet, lorsqu’il est alerté sur ce fondement, l’employeur est tenu de procéder « sans délai » à une enquête avec le représentant du personnel.

En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au CSE si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond (Article L. 2312-59 du code du travail).

L’issue du désaccord relève alors de la compétence du conseil des prud’hommes.

De facto, il n’est pas acceptable que, pour une même situation liée à l’existence, vraie ou supposée, de risques psychosociaux, une entreprise soit assignée devant le tribunal judiciaire et une autre devant le conseil des prud’hommes. D’autres n’auront pas à régler cette question devant les tribunaux et pourront bénéficier de l’intermédiation de l’Inspecteur du travail…

Cette situation emporte nécessairement une iniquité et une incertitude jurisprudentielle totalement disproportionnées.

Au total, les textes offrant aux membres du CSE un droit d’alerte et d’enquête se révèlent complexes à utiliser en matière de risques psychosociaux. Et pour cause, ils n’ont manifestement pas été rédigés pour encadrer les situations -particulièrement larges- provoquées par des risques psychosociaux.

L’alerte liée aux dangers graves et imminent est destinée à couvrir les situations dans lesquelles les salariés sont soumis à un risque de nature à mettre en cause immédiatement leur santé physique, voir représenter un danger mortel. Alors que l’enquête liée à l’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles a, manifestement, été prévue pour des agissements de harcèlement moral ou sexuel.

Mais les risques psychosociaux n’entrainent pas nécessairement des situations de harcèlement moral ou sexuel. De même, ils caractérisent très rarement (voir jamais) un danger grave et imminent pour les salariés, et fort heureusement !

Pour conclure…

Il est nécessaire, et même indispensable, que les textes organisant le droit d’alerte des membres du CSE soient modifiés afin de préciser le cadre dans lequel ils peuvent être utilisés. A défaut, les entreprises, et plus précisément leurs équipes de managers, pourraient être placées dans une situation d’enquête permanente liée à l’existence, toujours plus subjective, de risques psychosociaux de toute nature.

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